Je bénis le sommeil, lui seul peut déformer
Par sa ténèbre étroite, habile et travailleuse,
Les traits de ton image où mon âme amoureuse,
Sachant tous tes défauts, ne voit rien à blâmer !
Je m’endors agitée, et, pareille aux voyages,
Débordante d’espoirs, d’attente, de projets;
Et puis, à mon réveil, engourdie encor, j’ai
La douceur de trouver ma raison lasse et sage.
Je ne souhaite rien; fidèle à mes soucis
Je songe tendrement à la tombe loyale
Où, descendue enfin dans la paix sans rivale,
J’oublierai les désirs dont j’ai souffert ici;
Et je ne cherche pas à me tromper moi-même
Sur le dur sentiment que tu m’as inspiré;
Non, je ne t’aime pas avec l’honneur sacré,
Avec l’esprit ravi! Non, pauvre homme, je t’aime…
Et si ton hésitant, faible et modique orgueil
Ne peut s’accommoder de l’animale flamme,
Moi, du moins, j’eus le droit de voir périr des âmes
Pour les lèvres, les bras, les noirs cheveux et l’oeil !
Poème de l’amour
Poèmes de Anna de Brancovan, comtesse de Noailles